L'affaire Louveau 2/4

Si vous avez raté la première partie : Affaire Louveau 1/4



Affaire Louveau (2/4)

Le temps de s’organiser, et quelques jours plus tard, Maître Antoine Guédon se met en chemin pour Désertines. Dans la diligence, certains passagers ne sont pas rassurés.

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- Vous avez signé votre testament avant de partir ? Vous savez que la compagnie des diligences le recommande. J’ai entendu dire que l’an dernier, près de 3500 diligences avaient eu des accidents. On compte les morts par centaines !

Le vieil homme qui parle ainsi serre contre lui une petite sacoche de vieux cuir élimé. La femme qui lui répond, forte et d’aspect sévère ne semble pas moins inquiète.
- Bien sûr ! Que croyez-vous ? J’ai même confié mes bijoux à ma sœur, au cas où. Avez-vous entendu parler de ce qu’ils font comme travaux à Saint-Etienne ?
- Vous voulez parler du chemin de fer ?
- Oui ! J’ai vraiment hâte qu’il arrive par chez nous, ça semble tellement plus sûr que ces diligences de malheur !


Antoine Guédon sourit, il n’est pas inquiet. Il voyage fréquemment et à part quelques brigands, il n’a jamais eu de problème. Ce qui l’inquiète davantage, c’est ce qu’il va entendre. Son affaire le tracasse. Il relit une nouvelle fois, la liste des gens qu’il souhaite rencontrer. Pas moins d’une vingtaine de noms. Il les connaît presque par cœur désormais. La diligence s’arrête enfin, après plusieurs heures de voyage, le voici arrivé à destination.

En descendant du véhicule, il jette un regard circulaire autour de lui. Il est dans un de ces villages rural tout ce qu’il y a de banal. Une vaste place avec une Église, la mairie en face, un cabaret et une auberge. Il est assez tard, aussi Antoine décide-t-il de descendre directement à l’auberge du village.

- Bonjour Monsieur, je cherche Monsieur Letissier.

- C’est moi même, qu’est ce que je peux faire pour vous ?

- Je vous ai réservé une chambre pour trois nuits. Maître Guédon.

- Oui bien sur.

Après avoir réglé l’aubergiste pour 3 nuits, qu’il espère suffisantes pour mener son enquête, il demande :
- Pouvez-vous m’indiquer quelqu’un qui pourrait me servir de guide et de chauffeur dans le village et aux alentours ?
- Oh, bah le petit Roussel pourrait sûrement vous arranger ça.
Du menton, le cabaretier désigne un jeune homme d’à peine 16 ans, assis à une table, près de la fenêtre. Il reprend :
- C’est le domestique de M. Fouqué, il est assis juste à côté, vou’z avez qu’à y demander.
Après de rapides échanges entre les trois hommes, il est convenu que le jeune homme assistera Maître Guédon dans ses déplacements.
- Bien, partons de suite, je te prie. Je souhaite aller à Fougerolles, je veux aller rencontrer le docteur Le Tourneux. Tu sais où il habite ?
- Oui Monsieur. Nous y serons dans une demi-heure.

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Le docteur Jean-Baptiste Le Tourneux se trouve à son domicile de la Barbottière lorsqu’ils y arrivent. Après quelques minutes d’attente, il installe l’avocat dans son bureau.

- D’après votre courrier, vous voulez parler de ce qui est arrivé chez Monsieur Foisnet ? 
- Effectivement. Je souhaiterais connaître vos constations et vos sentiments.
 - Ils ont déjà été inscrit dans les procès verbaux de la procédure, si je ne me trompe.
 - C’est exact, mais je voudrais les entendre à nouveau, s’il vous plait.
 - Très bien. On m’a fait appeler le 27 Mai dernier, très tôt le matin, pour venir au secours de Mme Foisnet et de sa fille, Marie, qui avaient été attaquées. Lorsque je suis arrivé, la mère reposait sur un lit, vêtue d’une chemise ensanglantée. J’ai aussitôt remarqué les plaies à la tête, quatre, visiblement faites par un objet contondant. J’ai ensuite examinée Marie, qui gisait sur un lit près de la cheminée, ses vêtements également pleins de sang. Elle n’avait reçu qu’un seul coup derrière la tête. Jean, le frère de Marie, nous a expliqué qu'Alexandre Louveau s’était servi d’une petite hache qu’il avait pris sur l’établi. Lorsque les hommes de la gendarmerie l’ont trouvé, j’ai effectivement pu constater que les plaies correspondaient à la taille et à la forme de cette hachette. Du reste, celle-ci était maculée de sang.

 - Je vous remercie, docteur. Connaissez-vous bien Alexandre Louveau ?
 - Ma foi, comme je connais un peu tous les gens du village et de ceux environnants. Ni plus ni moins. Il m’avait l’air d’un brave garçon.
 - A-t-il des soucis de santé qui pourrait avoir un rôle dans les évènements de la nuit du 27 au 28 Mai dernier ?
 - Eh bien… il est atteint du mal caduc. D’épilepsie, si vous préférez.
 - Je vois. Pensez-vous que cela ait pu causer les évènement de la nuit en question ?

- Je ne sais pas trop. L’épilepsie est un trouble qui peut prendre bien des formes. Alexandre Louveau ne m’a pourtant jamais paru violent lors de ces crises.
 - Je comprends. Y-a-t-il autre chose ?
 - Rien de remarquable. La famille Foisnet est une famille bien connue des gens du coin, ils sont généreux et simples. Je ne comprends pas pourquoi il aurait pu leur vouloir du mal.
 - Merci encore, Docteur. Je vais vous laisser travailler. Je vous souhaite une belle journée.
 - A vous également, Maître.


Après un déjeuner rapide à l’auberge de Monsieur Letissier, Antoine Guédon se rend à l’église pour rencontrer le curé puis rentre rédiger ses notes.

« Le curé ne semble pas comprendre les agissements d’Alexandre Louveau. D’après lui, c’est un homme pieu, courageux et travailleur qui n’avait jamais manifesté de violence avant les évènements du mois dernier. Assidu aux offices, il est très droit. Son affliction ne l’a d’ailleurs rendu que plus croyant. Le curé lui avait même recommandé de faire un voyage à Sougeal pour y rencontrer un curé-médecin. Il me recommande de rencontrer Guillaume Guérin, qui l’avait accompagné. »

Antoine se fait conduire auprès de Guérin dans le milieu de l’après-midi et reprends son interrogatoire :
  
- Bonjour Monsieur Guerin. Je suis Maître Antoine Guédon. Je viens vous voir sur recommandation de monsieur le Curé. Il semble que vous connaissiez bien Alexandre Louveau ?

A ces mots, l’homme baisse la tête et répond gravement :

- C’est ce que je pensais, mais je ne l’aurais jamais cru capable de…

Sa voix s’éteint sans finir sa phrase. Il semble bouleversé.

- Allons nous asseoir, si vous le voulez bien, Maître.

L’homme le fait entrer dans sa maison, une grande table de bois près de la cheminée jouxte deux lits de part et d’autre du mur en pierre. Un grand vaisselier en chêne compose le dernier élément du mobilier.

- Reprenons, Monsieur Guérin, si vous le voulez bien. Depuis combien de temps connaissez-vous Alexandre ?

- Depuis qu’il est gamin. C’est pas bien grand, Désertines, on se voyait souvent avec ses parents. Et les Foisnet.

- Quels rapports y avaient-ils entre les Foisnet et Alexandre, à votre connaissance ?

- Ils s’entendaient bien, comme de bons voisins, en fait.

- Vous a-t-il déjà parlé de Marie Foisnet ou de sa mère ? D’une raison pour laquelle il leur en voudrait ?

- Il m’a parlé de Marie. Il m’avait dit qu’il l’aimait et l’avait demandé en mariage il y a deux ans, mais qu’elle ne souhaitait point de lui, à cause de sa maladie.

- Est-ce qu’il lui en voulait ?

- Pas que je sache. Il savait bien que sa maladie pouvait être transmise à ses enfants et il comprenait que Marie ne veuille pas risquer cela.

- J’ai lu dans les rapports des gendarmes, que les Foisnet auraient volé au père Louveau la somme de 2400 Livres. En avez-vous connaissance ?

- Non, je n’ai jamais entendu dire cela. Et d’ailleurs, ce serait étonnant. Les Foisnet ne sont point voleurs.

- D’après Monsieur le Curé, vous avez conduit Alexandre à Sougeal. C’était il y a combien de temps ?

- Il y a environ deux ans. Je l’ai aussi emmené il y a 4 ans voir le Docteur Ribon, à Louvigné-du-Désert.

- Comment avait-il réagi à l’annonce de son mal ?

- Il est très pieu, comme nous tous, et il a vu dans son mal, une épreuve que Dieu lui envoyait. Il n’était pas en colère, si c’est votre question.

- Avez-vous assisté à certaines de ses attaques ?

- Oui en effet, lors de nos voyages, il a été pris de plusieurs crises, mais aucune n’était violente.

- Pouvez-vous me décrire l’une de ces crises ?

- Oui. Alexandre se figeait soudain, sans signe annonciateur. Puis semblait chercher quelque chose en vain sans pouvoir parler. Il était totalement désorienté mais il n’a jamais tenté de me faire du mal. Ni à qui que ce soit. Cependant…

Guérin hésite, comme si il ne savait pas si il devait évoquer ce à quoi il pense. L’avocat l’encourage.

- Allez-y, Monsieur Guérin. Continuez.

- Eh bien, il y a trois semaines de ça… J’étais allé emprunté un établi au père d’Alexandre, à Montjean. J’ai trouvé Alexandre nu dans la cour. Il semblait perdu. Soudain, en un éclair, son regard a changé. Il a semblé furieux. Après s'être habillé, nous sommes allé voir son chanvre au champs, et il s’est mis à tirer la langue vers le ciel. Une fois rentré chez son père, il a demandé à ce qu’il lui tire à boire. Il s’est alors allongé sur le sol, bras en croix, et il a fait des croix avec sa langue de tous cotés. Il disait qu’il fallait dire des pater et des avé. C’était assez surprenant.

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Antoine retourne à l’auberge afin de noter ces nouveaux éléments et préparer sa journée de demain. Demain, il ira voir les témoins direct de la crise d’Alexandre. En premier lieu, il doit voir ceux qui l’ont croisé pendant sa nuit meurtrière. La première de sa liste est la domestique des Louveau, Marie Baudet.

Pendant que Monsieur Letissier lui sert son diner, il continue de réfléchir. Qu’a-t-il bien pu se passer pour qu’Alexandre agisse de la sorte, la nuit du 26 Mai ? La maladie d’Alexandre peut-elle lui éviter la guillotine ?

- Bonsoir. Vous êtes l’avocat d’Alexandre Louveau ?

L’homme qui tire Antoine de ses réflexion est Pierre Barrabé, le maire de Désertines. Agé de 45 ans, il n’est maire que depuis quelques mois et quelque chose dans sa posture, sa façon de se tenir face à l’avocat, montre qu’il aurait aimé éviter ce genre d’affaire durant son mandat. Il tient son chapeau entre ses deux mains, devant lui, comme une enfant qu’on gronde.

- Voilà, je voulais vous dire… ça fait quelques années que j’habite à Désertines. Le village est calme et tranquille. Alexandre Louveau est un homme d’ici, calme et tranquille aussi. Il n’avait, à ma connaissance, jamais causé de tort à personne. Il est plutôt aimable et donne même un coup de main à ses voisins, à l’occasion. Je ne comprends pas ce qui lui a pris. Il avait l’air tellement… différent quand on l’a appréhendé. Je l’ai à peine reconnu. Je connais bien les Foisnet aussi. Et je ne connais aucune raison de leur vouloir du mal. Tout le monde est abasourdi ici.

Antoine attend quelques secondes avant de répondre et constate que le maire semble rétrécir à mesure que le silence dure. Pris de pitié pour cet homme qu’il n’avait jamais vu, il se décide à répondre.

- Je vous remercie, Monsieur le Maire. Je prends note de vos observations. Sachez que je fais le nécessaire pour comprendre ce qui s’est passé.

- Je pense que tout le village s’est plus ou moins fait son opinion.

- Oui, je comprends.

Les hommes échangent encore quelques mots puis Antoine rejoint sa chambre. Les deux prochains jours vont être fatiguant, il doit prendre des forces.



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