L'affaire Louveau 1/4


Tour du Vieux-Château de Laval
Source : google maps


Il est 8h00 ce matin du mardi 7 septembre 1825 quand l'homme entre dans le Vieux-Château de Laval. Il a toujours trouvé cette prison très austère mais ce matin elle lui semble encore plus froide, dans la lumière matinale. Il passe les portes successives sans empressement ni retenue, comme un laboureur partant au champ.

- Il est dans quelle cellule ?, demande-t-il au maton qui l’accueille.

- La 23, maître. Mais méfiez vous-en, il est mauvais. On vous a dit ce qu’il a fait ?

- Oui, j’ai lu le rapport du brigadier de la gendarmerie de Fougerolles, hier soir.

Et en effet, la lecture du dossier lui a glacé le sang. C'est un avocat reconnu, il n'a que 40 ans, mais il a déjà l'assurance des grands ténors du barreau. Malgré tout, ce dossier est perturbant, on y parle d’un crime très violent.

Il monte les marches du grand escalier de la tour du château. La cellule 23 est là, tout en haut car c’est une cellule d’isolement. Il prend une grande respiration avant d’entrer.

- Bonjour Monsieur Louveau, maître Guédon, votre avocat commis d’office.

- Bonjour Maître.

L’homme qui lui fait face n’a pas l’air si mauvais que le décrivait le maton. Il est jeune, 28 ans d’après le dossier de la procédure. Il mesure à peine plus d’un mètre soixante, châtain avec des yeux roux qui révèlent plus de confusion que de méchanceté et le teint coloré des hommes de la terre. Seule les marques de la petite vérole viennent ternir ce visage qui doit être beau quand il sourit. Mais il ne sourit pas, il a le regard triste, méfiant et profondément déprimé.

- Aujourd’hui, je vais revoir avec vous ce dont vous vous souvenez et ce qui s’est passé. Pouvons-nous commencer ?

- Oui, maître.

- Bien. Je voudrais d’abord vous entendre. Racontez-moi la nuit du 26 au 27 Mai dernier.

- Eh bien, je me souviens m’être couché dans la soirée et je ne me rappelle plus de rien ensuite.

- Quel est la première chose dont vous vous souvenez depuis ?

- Mon réveil en cellule à Gorron, trois jours plus tard.

- Ah... effectivement, c’est un grand blanc. Vous savez ce que l’on vous reproche ?

- Oui je le sais.

- Qu’en pensez-vous ?

- Je n’en pense rien. Je ne me souviens de rien et ne puis expliquer ce que j’ai pu faire ou pourquoi.

L’avocat se demande si son client est sincère, mais dans les yeux roux, seule la tristesse est toujours visible. Impossible de savoir si il ment pour se sauver ou si il ne se souvient vraiment de rien. Il reprend :

- Aviez vous bu lorsque vous vous êtes couché ?

- Non, il y avait plus de 8 jours que je n’avais bu.

- Très bien. Êtes-vous croyant, Monsieur Louveau ?

- Oui, je le suis. Je vais à la messe régulièrement et fait mes prières chaque jour.

- Ce sont de bons points en faveur de votre défense. Essayons de comprendre ce qui s’est passé cette nuit là. Le jeudi soir, vous vous êtes couché, donc. D’après le dossier, vous vous êtes levé à 3h30 et avait maltraité votre domestique.

- Je ne m’en souviens pas.

- Ensuite vous êtes allé au village de la Coiffetiere, à Désertines. Est-ce loin de votre domicile ?

- Non, ce sont mes voisins les plus proches.

- Vous y avez attaqué trois personnes.

- Je ne m’en souviens pas.

A cette évocation, le regard d’Alexandre se trouble un peu plus, il se renferme davantage et baisse la tête. L’avocat sent instinctivement qu’il y a quelque chose que son client ne dit pas.

- Vous en êtes voisin, vous connaissiez donc Michèle Jamoteau, Marie Foisnet et Jean Foisnet ?

- Oui, assez bien.

- Pouvez-vous préciser vos rapports avec ces personnes ?

- Je les fréquentais régulièrement et nous nous voyions chaque dimanche à la messe.

- C’est tout ?

- Non. J’ai demandé la main de Marie à ses parents, il y a 2 ans.

- Vous n'êtes pas marié, je suppose donc qu'ils vous l'ont refusé ?

- Oui.

- Pour quelle raison ?

- Je suis malade.

- De quelle maladie souffrez-vous ?

- J’en ignore le nom, maître.

- Très bien. Gardiez-vous rancœur de ce refus à la famille Foisnet ?

- Non, je ne leur en voulais pas.

Le regard du jeune homme est de nouveau troublé et l’avocat décide de changer de sujet de peur de ne pouvoir continuer son interrogatoire.

- Et les autres personnes que vous avez agressé, les connaissiez-vous ?

- Certains.

- On vous a donné les noms des personnes lors de vos interrogatoires à la maison d’arrêt de Gorron, pouvez-vous me dire lesquels vous connaissiez ?
Le jeune homme réfléchit, il fait visiblement un effort de mémoire. Il répond, hésitant,

- Je connaissais bien Marie Baudet qui est domestique chez mes parents, François Coutard, Jean Foisnet qui est mon cousin éloigné et Marie Gillet. J’ai déjà rencontré Michel Poidevin.

- Bien. Aviez-vous quelque grief contre l’une ou l’autre de ces personnes ?

- Pas le moindre.

- C’est noté. Nous allons arrêter là pour aujourd’hui. Je vais enquêter de mon côté et je reviendrai vous parler. En attendant, tâchez de rester tranquille. C’est d’accord ?

- Oui, maître.

- Allez. A bientôt.

L’avocat sort de la cellule rassuré. Son client n’a pas l’air d’être un mauvais bougre, pourtant ce qu’il a fait… ça ne semble pas coller avec sa personnalité. Il doit aller à Désertines pour qu’on lui dresse un portrait d’Alexandre. Il faut qu’il en sache davantage.


Porte intérieure de la tour du château de Laval (53)

Pour la suite :
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